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Comment faire valoir l’économie sociale ?

Le 20 novembre dernier, le TIESS a réuni une quinzaine d’acteurs clés associés à divers réseaux de l’économie sociale afin de réfléchir aux pratiques et aux effets spécifiques de l’économie sociale (ÉS). Les participants devaient faire des présentations afin de persuader leur auditoire, un jury fictif, de la valeur de l’économie sociale et de l’intérêt de la soutenir. Ce texte vise à résumer certaines lignes d’argumentaires qui ont émergé de cet exercice de communication.

(Pour celles et ceux qui le souhaitent, il est possible de consulter le document de préparation remis aux participants ainsi qu’un tableau synthèse créé à la suite de l’événement)

Avant toute chose, pour parler de l’économie sociale, il faut d’abord rappeler ce que c’est. À cet égard, la Loi sur l’économie sociale adoptée au Québec en 2013 nous est bien utile. Pour être qualifiées d’entreprises d’économie sociale, les coopératives, les mutuelles et les associations doivent mener des activités marchandes et respecter 6 critères : mission sociale, autonomie, gouvernance démocratique, aspiration à la viabilité économique, distribution limitée des surplus et impossibilité de partager les actifs nets entre les membres en cas de dissolution. Il est aussi énoncé dans la Loi que les entreprises d’économie sociale ont le potentiel de contribuer à l’occupation et au développement des territoires, qu’elles sont souvent issues de mobilisations locales en réponse aux besoins de la communauté et qu’elles permettent de constituer une richesse collective. Les participants de l’activité ont particulièrement insisté sur les effets positifs de la gouvernance démocratique, « les entreprises d’économie sociale sont des écoles citoyennes », « elles ont des atouts pour une meilleure gestion grâce au croisement des expériences et des savoirs », et sur l’intérêt d’investir dans ces entreprises, car « elles sont souvent plus transparentes dans la gestion » et « presque impossibles à délocaliser ». Ce dernier point fait directement écho à l’ancrage territorial des entreprises d’économie sociale.

Deuxièmement, on parle généralement de la taille du secteur et de son impact économique. On évoque à cette fin les indicateurs économiques classiques comme le nombre d’emplois créés, le nombre d’entreprises et leur chiffre d’affaires. Cela peut s’appliquer autant à l’ensemble de l’économie sociale, « 7000 entreprises et 40 milliards de chiffre d’affaires », qu’à un secteur, « le Conseil québécois du loisir regroupe 40 organismes nationaux et 4500 organismes locaux dont 1400 emploient l’équivalent de 123 000 personnes à temps plein ». On ne manque pas non plus de rappeler la stabilité des entreprises d’économie sociale et des investissements qui y sont faits : « le taux de survie des coopératives est supérieur à celui des entreprises privées ».

Troisièmement, il est souvent question de ce que l’entreprise d’économie sociale fait de plus que l’entreprise conventionnelle. Traditionnellement, « elle naît souvent dans des marchés où le privé n’est pas ou peu présent ». En empruntant le langage économique, on peut alors dire qu’elle vient combler une faille de marché. On pourrait ajouter que l’économie sociale produit des biens et des services collectifs qui profitent non seulement aux utilisateurs directs, mais à l’ensemble de la communauté, produisant ainsi des externalités positives : « prenez l’exemple de Destination Saint-Camille qui, en convertissant son église en salle de spectacle, a contribué au dynamisme et à l’attractivité de toute la communauté ». Certains participants sont même allés jusqu’à parler de justice économique : « L’entreprise d’économie sociale charge le juste prix d’un bien ou d’un service », ni plus ni moins. « Elle permet de répondre aux besoins existants plutôt que d’en créer des nouveaux ». Ce faisant, « elle contre la montée des inégalités de toutes sortes de manières, y compris, souvent, en limitant les écarts de salaires ».

Bien entendu, pour être persuasive, la communication doit être adaptée à son destinataire. L’esprit comptable voudra entendre parler d’emplois et de retour social sur investissement ; on rappellera plutôt à l’idéaliste tout le potentiel transformateur de l’économie sociale en ce qui concerne la démocratisation économique. Il importe à cette fin de continuer à garnir la boîte à argumentaires de l’ÉS dans les prochaines années.

Aussi, il serait possible d’élaborer davantage l’alignement entre les objectifs poursuivis par les administrations publiques et ceux de l’économie sociale. On sait déjà que dans bien des cas l’action des entreprises d’ÉS permet d’éviter de nombreux coûts aux systèmes de santé, de justice et de services sociaux, en plus de générer de nouvelles taxes. Par conséquent, « après 27 mois d’insertion en emploi, les gouvernements du Québec et du Canada récupèrent entièrement leurs investissements ». Mais cela va beaucoup plus loin : l’économie sociale permet l’atteinte d’objectifs éducatifs, l’accroissement de la qualité de vie, l’insertion sociale et bien plus. C’est à chaque entreprise, secteur ou réseau de cerner la valeur de son intervention pour un ministère ou une ville en particulier et de montrer en quoi leurs objectifs concordent.

La contribution de l’économie sociale aux objectifs de développement durable de l’ONU sera également de plus en plus étudiée dans les prochaines années, non seulement parce que les administrations publiques de même que les entreprises privées sont soucieuses de démontrer en quoi elles s’inscrivent dans ce mouvement, mais aussi parce que notre conscience l’exige dans un contexte de crise environnementale.

Cependant, le poids de ces arguments ne doit pas nous faire tomber dans la complaisance ou l’hypocrisie. Il est sain de se remettre en question et stratégique de le faire avant que d’autres ne s’en chargent. Quel modèle de développement économique voulons-nous ? Est-ce que l’ÉS participe effectivement à démocratiser l’économie, à combattre les inégalités ? Est-ce qu’un OBNL avec un CA coopté de 3 personnes est vraiment démocratique ? Est-ce qu’un mouvement coopératif avec plus de 40 000 employés et 6 millions de membres peut perdre de vue ses principes et ses objectifs fondateurs ? Qu’on l’appelle audit social, bilan sociétal ou bilan coopératif, l’économie sociale s’intéressait déjà, il y a des décennies, à des manières d’évaluer sa performance sociale et environnementale pour s’assurer que ses principes soient respectés et en constante amélioration. À l’heure où les discours sur l’économie d’impact et la mesure d’impact social invitent les organisations à déployer tous les moyens possibles pour prouver qu’elles sont les meilleures et se démarquer de la concurrence, nous sommes peut-être mûrs pour nous élever au-dessus de ces débats, déterrer certains des outils évoqués plus haut et démarrer un vaste chantier de valorisation des pratiques de l’économie sociale. Des efforts doivent être faits pour adapter les outils à la réalité des entreprises d’économie sociale et pour développer une saine culture de l’évaluation chez les acteurs qui l’ont à cœur.