Résumé : L’action communautaire au Québec a développé sa propre approche sur l’évaluation au cours des dernières décennies. Le Manuel d’évaluation participative et négociée (Gaudreau et Lacelle, 1999a) illustre bien cette pratique. Celle-ci est généralement centrée sur les priorités et les besoins de l’organisme, dans une perspective d’apprentissage et d’amélioration plutôt que de mesure d’impact.
On peut apprendre de l’expérience de l’action communautaire autonome (ACA) au Québec dans les années 1990 et en particulier du programme Pratiques novatrices en milieu communautaire. Ce programme, qui s’est étalé de 1995 à 1999, a été mené conjointement par la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles, la Coalition des Tables régionales d’organismes communautaires, le Centre de formation populaire et le Service aux collectivités de l’UQAM. Le programme a donné naissance au Guide d’évaluation participative et de négociation (Midy, Vanier et Grant, 1998), puis a une nouvelle version l’année suivante, le Manuel d’évaluation participative et négociée (Gaudreau et Lacelle, 1999a).
Ces ouvrages, conjointement aux travaux d’un comité ministériel sur l’évaluation et des négociations avec le gouvernement du Parti québécois de l’époque, ont permis d’établir une convention sur la façon d’évaluer l’action communautaire. Au cœur de cette conception, la notion d’évaluation participative et négociée.
- L’évaluation participative : l’organisme, ses propres membres autant que ceux de la communauté dans laquelle il s’insère, sont parties prenantes de l’évaluation (Gaudreau et Lacelle, 1999b, p. 6).
- L’évaluation négociée :
- à l’interne, l’évaluation doit se faire via des débats ouverts et les choix doivent être validés à tous les paliers de l’organisme (Gaudreau et Lacelle, 1999b, p. 7) ;
- à l’externe, l’organisme communautaire est reconnu comme partenaire par son bailleur de fonds, le gouvernement du Québec (Gaudreau et Lacelle, 1999b, p. 8).
Les acquis de l’époque, bien qu’ils n’aient jamais été formellement remis en question, s’érodent progressivement via une indexation souvent trop faible ou inexistante des programmes. De là le sentiment (potentiellement légitime) que la mesure d’impact les menace. Cela ne veut pas dire que ces organismes refusent l’évaluation. Bien au contraire, on le voit, le secteur communautaire à l’habitude de s’évaluer, comme en témoigne les travaux d’Hébert et al. (2005) ou du Centre de formation populaire, dont l’initiative EvalPop vise à promouvoir et mettre en œuvre « l’évaluation par et pour le communautaire ». Mais toutes ces expériences d’évaluation concernent bien plus que l’évaluation d’impact et s’intéressent à une foule d’autres aspects. Ce qu’on recherche, c’est une évaluation adaptée. Adaptée aux spécificités des interventions de l’organisation étudiée, mais aussi, et surtout, aux besoins et aux aspirations qui motivent la démarche d’évaluation en premier lieu.
Même son de cloche du côté philanthropique. Innoweave, le programme commandité par la fondation McConnell, vise à « aide[r] les organismes à être plus innovateurs pour maximiser leur impact ». Selon une entrevue menée par le TIESS auprès de cet organisme, la plupart des organisations n’ont pas d’abord besoin de mesurer leur impact, mais plutôt de le clarifier en identifiant le changement qu’ils désirent effectivement accomplir. Innoweave les réfère donc au module « impact et clarté stratégique ». Les fondations Lucie et André Chagnon, J. Armand Bombardier et Centraide privilégient également une approche plus formative axée sur l’apprentissage, plutôt que d’encourager les organismes à mesurer leur impact. Plusieurs groupes comme Communagir, Dynamo, la coop Niska, le CFP et bien d’autres sont actifs dans le domaine de l’évaluation et de l’accompagnement d’initiatives collectives.
Gaudreau, L. et Lacelle, N. (1999a). Manuel d’évaluation participative et négociée (vol. 1-4). Montréal : Université du Québec à Montréal, Service aux collectivités.
Gaudreau, L. et Lacelle, N. (1999b). S’approcher de l’évaluation. Dans Manuel d’évaluation participative et négociée. Montréal : Université du Québec à Montréal, Service aux collectivités.
Hébert, J., Fortin, D., Fournier, F., Desrochers, M., Vézina, M., Archambault, S. et René, O. (2005). Analyse des pratiques d’évaluation dans les organismes communautaires (p. 131). Montréal : Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal.
Midy, F., Vanier, C. et Grant, M. (1998). Guide d’évaluation participative et de négociation. Montréal : Université du Québec à Montréal, Service aux collectivités.