Les enjeux et les défis de société sur lesquels le TIESS travaille se traduisent différemment selon les territoires dans lesquels ils prennent forme. Les milieux ruraux méritent par exemple une attention particulière. C’est dans ce contexte que le TIESS mène une veille consacrée à ces espaces territoriaux pour mieux cerner leur réalité et développer des solutions adaptées. Nous vous invitons à découvrir ci-dessous une première synthèse de cette veille. Nous vous recommandons également la fiche synthèse produite à partir des discussions du conseil scientifique à ce sujet le 30 mars dernier.
Dans l’imaginaire collectif, le terme « ruralité » s’inscrit dans un espace-temps obsolète et fait souvent référence à des idées erronées qui traduisent très mal la complexité de la réalité actuelle. Pour certains, le terme participe également à perpétuer une dichotomie et une tension entre le rural et l’urbain. Afin de dépasser cette opposition simpliste, il est suggéré d’utiliser des termes alternatifs comme espaces territoriaux ou non urbains. Ceci étant dit, pour d’autres acteurs, le terme « ruralité » reste porteur et traduit un sentiment d’appartenance en faisant référence à un mode de vie dans lequel ils se reconnaissent.
ENJEUX ET PISTES DE SOLUTIONS
Accessibilité aux denrées alimentaires
En région, les petites épiceries tendent à fermer, ce qui accentue le problème des déserts alimentaires, c’est-à-dire l’absence de commerce alimentaire dans un rayon de 16 kilomètres. C’est notamment le cas en Haute-Gaspésie. Les déserts alimentaires sont particulièrement problématiques pour les personnes aînées qui se voient contraintes de prendre la voiture pour faire leur épicerie. Face à cet enjeu, le modèle coopératif est souvent choisi afin de sauver les épiceries locales situées en milieu rural.
Accès à la terre
L’acquisition de terres agricoles s’avère de plus en plus ardue. En effet, au cours des 10 dernières années, leur valeur foncière a augmenté de 248 %! Le coût d’une terre dépasse donc sa valeur agronomique. Afin de remédier à la situation, le CLD de Brome-Missisquoi mène une recherche visant à développer des modèles innovants de propriété foncière. À un niveau plus micro, afin de réduire la charge financière et mieux répartir le travail, plusieurs agriculteurs tentent de développer de nouveaux modèles d’exploitation comme les fiducies d’utilité sociale agricole ou des coopératives de solidarité. D’ailleurs, dans la dernière année, 20 % des coopératives créées exercent dans le milieu agricole.
ENJEUX
Manque de données
Chaque année, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) produit un portrait statistique assez complet de l’état du marché locatif en immobilier pour les municipalités comptant plus de 10 000 personnes, mais ce n’est qu’une fois tous les 5 ans que les municipalités comptant entre 9 999 et 2 500 personnes sont étudiées. Quant aux municipalités de moins de 2 500 personnes, elles ne sont jamais considérées. Le dernier portrait de la SCHL a été publié en 2021.
Mouvements interrégionaux
Entre 2020 et 2022, plusieurs régions du Québec, telles que les Laurentides, Lanaudière, l’Estrie, la Mauricie, le Centre-du-Québec, Chaudière-Appalaches, le Bas-Saint-Laurent, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, ont subi un solde migratoire sans précédent. En 2021, les Laurentides ont d’ailleurs atteint la population prévue pour 2031. La région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine accuse quant à elle des taux d’inoccupation oscillants entre 1,4 et 0 %. Durant ces mêmes années, les habitudes de vacances des Québécoises et Québécois ont changé. Elles et ils se sont tournés vers la villégiature, augmentant ainsi la demande pour les locations à court terme. D’ailleurs, selon une étude menée par le Regroupement des comités logements et des associations de locataires du Québec, la majorité des municipalités du Québec subissent la popularité d’Airbnb. Ainsi dans certaines municipalités, le pourcentage de logements Airbnb à louer dépasse le taux d’inoccupation.
FILET SOCIAL
Alors que l’accès à la propriété devient de plus en plus difficile et que certains propriétaires peinent à endosser les augmentations de taxes foncières qui peuvent monter jusqu’à 38 %, quelles sont les solutions de remplacement à la maison individuelle en région ? Les coopératives d’habitations n’occupent qu’une petite part du marché immobilier dans les municipalités de moins de 10 000 habitants, en effet, sur un total de 666 coopératives d’habitations, seulement 60 d’entre elles se situent dans ces municipalités. Les OBNL d’habitation sont quant à eux plus présents en milieu rural, 246 d’entre eux, soit 31 %, sont situés dans des municipalités de moins de 10 000 personnes. En comparaison, en 2017, 21,1 % de la population du Québec résidait dans des municipalités comptant moins de 10 000 âmes.
PÉNURIE DE LOGEMENTS
Dans les secteurs ruraux de la région de Chaudière-Appalaches, il manque présentement des logements bien entretenus et disponibles, de sorte qu’il est difficile pour un nouvel arrivant de s’installer sans devenir propriétaire. Une pratique qui a pour effet d’accentuer le manque de logements est l’achat en bloc par les propriétaires d’entreprises qui doivent loger leur personnel provenant de l’extérieur du Canada. Cela a pour incidence de créer des ghettos de travailleuses et travailleurs étrangers et d’évincer la population locale de leurs logements. Une solution pour loger les travailleuses et travailleurs étrangers est expérimentée par la MRC de la Nouvelle-Beauce et consiste en un projet pilote d’implantation de logements temporaires sur les terres agricoles de la MRC.
ENJEUX
L’INSPQ estime qu’une personne sur quatre sera âgée de 65 ans ou plus en 2031 et, selon des données recueillies dans le premier semestre de 2022, pour la première fois de l’histoire des statistiques démographiques du Québec, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans a surpassé le nombre de jeunes de moins de 20 ans.
FILET SOCIAL
Si les résidents et résidentes n’ont pas beaucoup d’options vers lesquelles se tourner lorsqu’il devient impossible de se loger, c’est encore plus difficile pour les personnes aînées. Dans les dernières années, plusieurs RPA à but non lucratif ou de petite taille qui étaient situées en milieu rural ont dû fermer à la suite des changements législatifs venant resserrer les normes d’exploitation. Une autre problématique touchant particulièrement les personnes aînées est l’augmentation des taxes foncières, certaines d’entre elles pourraient se voir contraintes de quitter leur domicile parce qu’elles sont incapables d’assumer la hausse du fardeau fiscal. Le risque de déracinement est particulièrement grand pour les personnes qui éprouvent un fort sentiment d’appartenance à leur communauté, tout particulièrement en milieu rural.
AMÉNAGEMENT ET RÉGLEMENTATION
Le rapport « Vivre et vieillir ensemble dans nos quartiers ruraux » du Centre d’action bénévole de Rouyn-Noranda pointe l’absence de services comme la principale raison pour laquelle les personnes aînées quittent leur domicile. Face à cet enjeu, les municipalités ont un rôle important à jouer en favorisant un aménagement plus inclusif de leur territoire. À La Tuque, par exemple, le conseil municipal s’est engagé à assurer un milieu de vie agréable, stimulant et sécuritaire pour ses aîné·es (30 % de sa population) à travers une politique et un plan d’action qui touche 9 champs d’intervention : espaces extérieurs et bâtiments, habitat et milieu de vie, transport et mobilité, participation sociale, respect et inclusion sociale, santé, services sociaux et saines habitudes de vie, communication et information, loisirs et sécurité.
Au-delà des questions d’aménagement, les leviers réglementaires peuvent également être mobilisés pour encourager les initiatives innovantes. Du côté de l’habitation, on voit certains modèles alternatifs émerger comme les habitations communautaires pour aîné·es.
ENJEUX
Le vieillissement de la population a un effet direct sur la rareté de la main-d’œuvre. On estime qu’il y a entre 4 et 8 travailleuses et travailleurs de 20 à 29 ans pour 10 âgés de 55 à 64 ans. On dénombre à 90 000 le nombre de travailleuses et travailleurs manquant dans les régions d’ici 5 ans. Les régions les plus touchées par le manque de main-d’œuvre sont la Montérégie, les Laurentides et Lanaudière.
En Outaouais, là où la concurrence du fédéral est forte, les organismes communautaires peinent à recruter et subissent un très grand roulement de personnel. Cette problématique fait écho en Abitibi, à La Sarre, où la ressourcerie peine à recruter de la main-d’œuvre non qualifiée et éloignée du marché du travail, car le salaire minimum n’est pas concurrentiel.
Les contenus diffusés dans ce bulletin proviennent d’un effort collectif de veille auquel contribuent à divers niveaux l’équipe du TIESS et ses divers partenaires, en particulier les pôles d’économie sociale et les membres du conseil scientifique.