OIS – Qu’est-ce que c’est ?
Les obligations à impact social (OIS)[1], aussi appelées contrats à impact social, proposent une restructuration des relations entre les pouvoirs publics, les organisations à vocation sociale et les bailleurs de fonds privés. En ce sens, elles constituent certes une innovation sociale, mais dont il reste à déterminer si elle aura un impact positif ou négatif. Apparues pour la première fois en 2010 au Royaume-Uni, les OIS se sont depuis répandues dans plusieurs autres pays, générant de nombreux débats entre engouement et méfiance des acteurs concernés.
À travers ce mécanisme, les services sociaux fournis par des acteurs indépendants de l’État sont financés par des investisseurs privés sur la base d’un contrat de remboursement passé avec un gouvernement (municipalité, région, État, etc.). Ce contrat adosse le rendement financier de ces investissements aux retombées sociales du programme ainsi financé. Au terme du programme, ses effets sociaux (impacts) sont évalués (mesurés) pour être traduits en rendement financier.
Source : contrat-impact-social.fr
- Quelles conséquences ces changements pourraient-ils entraîner ?
- Qui tiendra le gros bout du bâton à la suite d’une telle restructuration des relations ?
D’un point de vue financier, il est important de souligner que ces outils ne sont pas des obligations au sens financier traditionnel (intérêt fixe et durée prédéterminée)[2], mais plutôt des contrats ou programmes d’investissement d’où la diversité des terminologies employées. Notons également que cet outil n’a rien à voir avec les obligations communautaires (community bonds), un mécanisme plus proche du financement participatif qui est de plus en plus utilisé au Québec et ailleurs au Canada, et qui est présenté sur le site du TIESS.
Devant l’abondance de littérature grise vantant les bienfaits potentiels de cette innovation financière, il semble légitime et important de soulever plusieurs questions.
Plus de 60 programmes d’OIS dans 15 pays
Cet instrument initialement élaboré par Social Finance Ltd. (une organisation basée à Londres et développant le marché de l’investissement social) a été mis en application pour la première fois en septembre 2010 par le ministère de la Justice dans le cadre d’un programme de lutte contre la récidive de détenus à leur sortie de prison. Depuis, il ne cesse de faire parler de lui et intéresse de nombreux gouvernements qui voient en lui un moyen de minimiser les risques politique et financier liés à l’engagement de dépenses publiques dans les services sociaux. À l’heure actuelle, plus de 60 programmes d’OIS ont été lancés dans 15 pays[3]. Les évaluations des résultats de ces expériences varient selon les analyses.
En octobre 2016, l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a annoncé l’emploi des OIS pour financer une initiative communautaire de prévention de l’hypertension (ICPH) et marquait ainsi la première utilisation par le gouvernement canadien d’une obligation à impact social (OIS) dans le domaine de la santé publique[4]. Au Québec, aucune expérience concrète n’a eu lieu jusqu’à aujourd’hui.
Un partenariat gagnant-gagnant ?
Les OIS apparaissent, à première vue, comme un outil simple, efficace et générateur de partenariats gagnant-gagnant. L’État n’engage des dépenses que pour les projets dont les retombées sociales avérées lui font faire des économies. Dans le cas contraire, il ne paye rien et les investisseurs assument les pertes éventuelles (transfert de risque du public au privé). L’État se soustrait ainsi au risque politique et financier de l’intervention sociale, les investisseurs privés font fructifier leurs capitaux tout en contribuant à l’intérêt général et les organismes fournisseurs de services trouvent un financement approprié. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
C’est dans cette apparente simplicité que réside toute la force de cet outil, et c’est justement pour cette raison qu’il faut l’examiner de plus près pour bien comprendre les tenants et aboutissants d’un tel mécanisme.
“Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse”.
(H.L. Mencken)
Limites et questionnements
Cette nouvelle configuration redistribue les rôles assignés à l’État, aux investisseurs privés et aux organisations à vocation sociale dans la construction de réponses aux problématiques sociales. Il est sans doute encore trop tôt pour tirer des conclusions quant aux nouveaux rapports de force qui s’installeraient si cet outil devait être utilisé de manière extensive, mais on peut néanmoins se poser certaines questions.
- Investisseurs privés
Les conséquences, parfois déplorables, des privatisations opérées dans l’éducation, la santé ou la sécurité publique nous amènent à douter des bienfaits d’une marchandisation des services sociaux. Or, dans la nouvelle configuration proposée par les OIS, les investisseurs privés et le marché joueraient un rôle de premier plan dans la sélection des modes d’intervention sociale. L’impact social prévaudra-t-il toujours sur le rendement financier dans ces choix ? L’empressement de banques d’affaires comme Goldman Sachs (connues pour leurs pratiques spéculatives de court terme) à utiliser cet outil soulève certaines inquiétudes en la matière.
- État
L’hypothèse sur laquelle se fonde les OIS est que l’État a échoué dans la gestion des services sociaux et que le privé serait plus à même d’y répondre. Cette posture idéologique est rarement étayée et semble être tenue pour acquise. On postule que le privé gère mieux que le public, mais ce secteur n’est-il pas tout autant responsable que l’État des plus grosses factures sociétales actuelles, soit la crise écologique, la fragilité du système financier et la montée des inégalités ? Deux questions subsistent. L’État a-t-il vraiment échoué ? Les privatisations de services sociaux ont-elles réussi ?
- Fournisseurs de services sociaux (entreprises, associations, etc.)
Ce type de programme de financement est difficilement accessible aux petites organisations dont les programmes sont pourtant souvent les plus en lien avec les besoins des communautés locales. L’orientation des financements vers des organisations de plus grandes tailles ne risque-t-elle pas d’entraîner une uniformisation du traitement de la question sociale au détriment des particularités locales ?
Par ailleurs, quel que soit le domaine d’activité, quand il est question de survie la réalité prévaut sur les idéaux. Or, si les sources de financement des organisations à vocation sociale passent de plus en plus par ces mécanismes, l’intervention sociale se subordonnera-t-elle aux critères d’éligibilité des programmes de financement ? En ajoutant un intermédiaire (investisseur privé) dans la « chaîne » de prestation de services sociaux, les fournisseurs pourraient s’orienter vers les programmes sociaux dont les effets seront quantifiables, facilement mesurables à court terme et donc susceptibles de se faire financer. À titre d’exemple, comment mesure-t-on la reprise de confiance en soi d’un décrocheur scolaire ? Qu’adviendra-t-il des programmes dont les effets sont difficilement mesurables et ne se font sentir que sur le long terme ? Par ailleurs, au sein des programmes, il serait logique que pour les mêmes raisons une sélection, appelée aussi « écrémage », s’opère au profit des cas les plus simples à traiter. Qu’adviendra-t-il des populations les plus marginalisées et à risque ?
- Mécanismes d’évaluation
On l’a compris, au cœur de ces nouvelles interactions se trouve une quatrième variable, objet de nombreux débats actuellement : l’évaluation des effets de ces actions ou, pour employer une expression plus en vogue, la mesure de l’impact social. Comment seront déterminés ces mécanismes ? Est-ce que toutes les parties prenantes seront impliquées ? Auront-elles un poids équivalent dans les négociations qui ne manqueront pas de prendre place notamment autour des méthodes et des indicateurs choisis ? En fin de compte qui évaluera les retombées ? Quel que soit son niveau d’indépendance supposé ou avéré, comment justifier le rôle central que cette entité jouera dans le champ des services sociaux ? Enfin, dans l’octroi de services sociaux, les processus (difficilement mesurables) sont aussi importants que les résultats. Quelle sera leur place dans un contexte où l’évaluation se concentrera sur les résultats de court terme ?
En somme, les OIS constituent un outil puissant et transformateur qui renforcerait le rôle des intérêts privés et financiers dans la gestion de l’action sociale. Devant l’engouement suscité chez certains, ce billet vise à mettre en lumière quelques-uns des enjeux entourant un tel glissement des responsabilités.
Pour aller plus loin :
Ajout du 30 aoûts 2020: une section de notre site internet dédiée au thème des contrats à impact social est désormais disponible à l’adresse suivante: https://tiess.ca/les-contrats-a-impact-social/
www.associations-citoyennes.net/?p=7308
www.associations-citoyennes.net/?page_id=5286
www.governing.com/topics/finance/gov-social-impact-bonds.html
www.avise.org/ressources/evaluation-du-premier-social-impact-bond-sib
www.avise.org/ressources/avis-du-hcva-relatif-aux-social-impact-bonds
www.avise.org/actualites/contrats-a-impact-social
www.ontario.ca/fr/page/obligations-impact-social
www.socialfinance.org.uk/sib-white-paper/
[1] Également appelée en anglais social impact bonds, pay by results ou pay for success projects
[2] Neil McHugh et al, 2013
[3] European Venture Philanthropy Association. 60 Social Impact Bonds across 15 countries show growing global momentum. Répéré à: evpa.eu.com/blog/60-social-impact-bonds-across-15-countries-show-growing-global-momentum
[4] Agence de la santé publique du Canada. La ministre de la Santé annonce une obligation à impact social pour favoriser la santé cardiaque et vasculaire. Répéré à: nouvelles.gc.ca/web/article-fr.do?mthd=index&crtr.page=1&nid=1144179&_ga=1.224616538.114908343.1475606095