3 juillet 2018

Recherche-action et réseaux d’économie sociale au Québec

 

Résumé : La première décennie qui a suivi le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996 a été une période de réflexion intense sur le thème de l’évaluation de l’économie sociale alors en plein essor au Québec. Cette réflexion s’est déroulée particulièrement à l’UQAM, dans le cadre de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC), et au CSMO-ÉSAC.

Au début des années 2000, au Québec, la question des « indicateurs de rentabilité sociale » en économie sociale a fait l’objet de plusieurs projets de recherche. Ainsi, un chantier d’application partenariale (CAP), qui portait sur le sujet « Évaluation et systèmes d’information », a été organisé dans le cadre de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) en économie sociale, tandis que le CSMO-ÉSAC se penchait également sur la question (Neamtan, 2000, p. 18-20).

Ces initiatives étaient issues de préoccupations présentes depuis plusieurs années, mais qui avaient gagné en importance à la suite du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996 et dans un contexte de retournement de conjoncture qui rendait « essentiel de pouvoir identifier des impacts de l’économie sociale au-delà de la création d’emploi » (Neamtan, 2000, p. 10). En outre, le « défi de l’évaluation », tel qu’articulé par le chantier, n’était pas bien différent de celui qui nous occupe aujourd’hui :

Il s’agit non seulement de mesurer statistiquement la portée des initiatives (nombre d’emplois, contribution au PNB, etc.) ou l’impact direct sur le plan social (réponse à des besoins sociaux non comblés, effets sur les populations marginalisées, etc.), mais également d’évaluer les impacts plus globaux sur le comportement de l’ensemble des acteurs de la société et les comportements institutionnels (les administrations publiques, les collectivités locales, les mouvements sociaux, le marché privé) et, en conséquence, sur le modèle de développement en cours. (Neamtan, 2000, p. 13)

L’ARUC-ÉS (l’Alliance de recherche universités-communautés en économie sociale) a mobilisé plusieurs chercheurs associés à l’UQAM, dont Marie J. Bouchard (M. Bouchard, 2004 ; M. Bouchard, Bourque, Lévesque et Desjardins, 2001 ; M. J. Bouchard, Fontan, Lachance et Fraisse, 2003 ; Fontan, Bouchard et Chaire de coopération Guy-Bernier, 1997 ; Rondot et Bouchard, 2003). Dans le cadre de ces travaux, on ne parle pas de mesure d’impact, mais plutôt d’évaluation avec une approche par les résultats et les impacts :

Les résultats sont les effets attendus d’une intervention. C’est généralement ces résultats attendus, suivant les objectifs visés, qui feront l’objet de l’évaluation. L’évaluation des résultats d’une intervention est parfois difficile à réaliser, car il faut être en mesure d’isoler les effets propres à l’intervention des modifications qui auraient eu lieu indépendamment de l’action de celle-ci (Perret, 2001, p. 25). Notons par ailleurs que plusieurs types de résultats devraient être identifiés par l’évaluateur : les résultats immédiats qui peuvent être liés au processus (par exemple la satisfaction des bénévoles et des travailleurs salariés), les résultats atteints à la fin de l’intervention et les résultats atteints à plus long terme (Scriven, 1991, p. 250).

Mais d’autres effets sont envisageables que ceux déjà prévus ou souhaités par l’intervention. La notion d’impact recouvre, en plus des résultats, les externalités non incorporées dans le prix ou les effets indirects qui peuvent être positifs ou négatifs (Berthelette, 1998, p. 6). Pour Laurent Fraisse, « la reconnaissance des acteurs de l’économie sociale passe de plus en plus par la démonstration de leur utilité sociale » (Fraisse, 2001, p. 2) mesurable sur la base des externalités positives de leurs activités. L’approche de type Theory Driven tente de prendre en considération dans l’évaluation ces multiples impacts éventuels. Nous y reviendrons plus loin.

En économie sociale, les résultats et les impacts sont mesurés en termes de rentabilité sociale ou de bénéfices collectifs. Ces termes visent le dépassement de l’évaluation des simples retombées économiques (Patenaude, 2001, p. 3).

À titre d’exemple, retenons cette typologie des bénéfices collectifs de l’économie sociale proposée par Jean Gadrey. Pour cet auteur, ces bénéfices sont :

– le moindre coût collectif direct de certains services ;

– la contribution indirecte à la réduction de coûts économiques divers, publics et privés ;

– la contribution indirecte à la progression du taux d’activité et de formation professionnelle de certains usagers ;

– la contribution au dynamisme économique et social des territoires, à leur attractivité et à leur qualité de vie collective ;

– la contribution à la réduction d’inégalités diverses jugées excessives ;

– la contribution au capital social, à la démocratie de proximité et aux solidarités locales relationnelles (Gadrey, 2002, p. 3-8).

On peut aussi identifier les impacts sur l’activité économique (recettes fiscales, salaires, etc.), par exemple à partir du modèle intersectoriel développé à l’Institut de la statistique du Québec. Ainsi, une étude portant sur l’impact économique et social du secteur communautaire à Montréal (Mathieu, van Schendel, Tremblay, Jetté, Dumais et Crémieux, 2001) conclut que, bien qu’ils soient difficilement comparables avec ceux du secteur privé, le secteur communautaire génère une part importante de ses revenus. Ces effets induits peuvent être pris en compte lors de l’évaluation. (Rondot et Bouchard, 2003, p. 11‑13)

Certaines des réflexions menées dans le cadre de l’ARUC-ÉS peuvent être consultées dans le volume 36 numéro 1 de la revue Économie et solidarités qui porte sur l’économie sociale et les indicateurs de développement.

Dès 1998, Lynda Binhas et le Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire (CSMO-ÉSAC) se sont intéressés à la question. Une démarche adaptée au secteur de l’économie sociale et de l’action communautaire a été élaborée afin de rendre compte avec justesse et rigueur de l’impact social et économique des organisations de ce secteur. Il s’agit d’une démarche adaptable à chacun des secteurs d’activité. Par la suite, deux documents ont été publiés par le CSMO-ÉSAC dans le but d’outiller le milieu pour la construction d’indicateurs et pour la réalisation de mesures d’impact social (Binhas, 2004, 2005, 2007). Enfin, le CSMO-ÉSAC offre des conférences, des conférences-ateliers et des formations sur la mesure d’impact social dans le but de la démystifier, de la vulgariser et de soutenir les organisations qui souhaitent se lancer dans cette démarche. Il est également possible d’obtenir de l’accompagnement et, en date de 2020, une formation en ligne sur le sujet était en cours de développement.


Références

Binhas, L. (2004). Indicateurs de rentabilité sociale, ou, Indicateurs d’impact économique?: comment les définir et comment les construire : comment mesurer les impacts sociaux et économiques en économie sociale et en action communautaire? Montréal : Comité sectoriel de main-d’oeuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire.

Binhas, L. (2005). Des indicateurs de rentabilité sociale ou des indicateurs d’impact économique pour l’économie sociale ? Économie et solidarités, 36(1), 64‑75.

Binhas, L. (2007). Comment mener une étude de A à Z: guide méthodologique à l’intention des regroupements, associations, fédérations, entreprises et organismes du secteur de l’économie sociale et de l’action communautaire. Montréal : Comité sectoriel de main-d’oeuvre économie sociale action communauté.

Bouchard, M. (2004). Vers une évaluation multidimensionnelle et négociée de l’économie sociale. Revue internationale de l’économie sociale: Recma, (292), 59–74.

Bouchard, M., Bourque, G. L., Lévesque, B. et Desjardins, É. (2001). L’évaluation de l’économie sociale dans la perspective des nouvelles formes de régulation socio-économique de l’intérêt général. Cahiers de recherche sociologique, (35), 31‑53.

Bouchard, M. J., Fontan, J.-M., Lachance, É. et Fraisse, L. (2003). L’évaluation de l’economie sociale quelques enjeux de conceptualisation et de methodologie.

Fontan, J.-M., Bouchard, M. et Chaire de coopération Guy-Bernier. (1997). Les coopératives jeunesse de services: apprentissage multidimensionnel, impact éducatif et complémentarité à l’environnement scolaire. Montréal : Chaire de coopération Guy-Bernier, Université du Québec à Montréal.

Neamtan, N. (2000, septembre). Économie sociale et évaluation – État du dossier au Québec.

Rondot, S. et Bouchard, M. (2003). L’évaluation en économie sociale: petit aide-mémoire. Montréal : ARUC-économie sociale.